Ceci est ma première nouvelle. Elle allie deux passions. J'espère que vous trouverez l'équilibre à votre gout.
Libre Glisseur.
Pierig Vezin
Libre Glisseur © 2020 by Pierig Vezin is licensed under CC BY-SA 4.0
Goulven se débattait dans les faibles thermiques de la fin d’après-midi. Il réalisait maintenant qu’il n’atteindrait pas son hameau ce soir. Il avait beau tenter de profiter du spectacle de la lumière rasante sur la vallée, et de l’ombre de son glisseur qui se découpait sur la montagne à sa hauteur, ses hématomes et ses membres endoloris l’empèchaient d’atteindre la sérénité du vole. Il allait devoir se poser à mi-pente et repartir le lendemain pour finir la boucle qu’il parcourait normalement tous les jours.
Il chercha donc un lieu adéquat disposant d'un lanceur. Il en repéra un rapidement, près d’un puits de mine creusé dans les flancs de la montagne qui représentait la richesse des habitants de Kerouan, ou plus précisément de HuaXiang, le seigneur de guerre qui possédait cette planète. Il atterrit dans le petit prés adjacent.
— Bonsoir, Jaloan, je suis le gardien du lanceur.
— Bonsoir, Goulven, pilote de Oualidia, merci de m’accueillir, répondit-il selon la formule convenue.
Jaloan commença à étaler la voile pendant que Goulven se décrochait du harnais et du sac.
— Tu arrives bien tard, pourtant tu semblais juste remonter ton glisseur de fret. Tu as eu un problème ? Tu veux que je regarde tes ailes ?
— Merci, Maitre Jaloan, mes glisseurs sont en bon état. C’est les mercenaires de HuaXiang qui m’ont retardé.
Goulven se dirigea vers le côté opposé de la voile pour parfaire le pliage. Jaloan remarqua immédiatement la claudication, et en déduisit rapidement que les ecchymoses sur le visage de Goulven n’étaient pas dus à un atterrissage raté.
— Viens chez moi ce soir, lui dit-il. Tu seras mieux que dans le hangar. Ma femme pourrait examiner tes plaies. Que s’est-il passé ?
Goulven sentit un barrage se briser devant la sollicitude du viel homme. Sa voix s'annima, comme libérée à finalement expliquer sa mésaventure, faisant fi de la réserve normalement de mise.
— Ce matin, je me suis envolé de Oualidia avec mon glisseur de fret rempli de minerais, dix tonnes. Ça aurait dû être une journée de routine, un plongeon, le déchargement, le pliage du glisseur dans son sac, remonter le tout sur la tour de lancement, puis un redécollage avec mon petit glisseur jusqu’à Oualidia. Mais à peine ai-je fini de décharger que les gardes ont commencé à m’insulter. Je n’ai pas répondu, mais ils étaient plus énervés que d’habitude alors ils sont venus me bousculer, en marchant sur les suspentes. Je leur ai juste demandé d’y faire attention. C’est à ce moment qu’ils se sont déchaînés.
Goulven s’arrêta un instant, faisant mine de se concentrer sur le pliage alors qu’il aurait pu l’effectuer les yeux fermés.
— Quand j’ai repris connaissance, il était déjà tard et il a fallu que je change deux suspentes avant de pouvoir décoller.
**********************************************************
Les étoiles scintillaient dans la nuit. Goulven massait ses membres courts, typique des natifs de la planète et de sa gravité écrasante. La température chutait rapidement, l’air sec ne retenant pas le rayonnement.
— Merci pour ce repas Jaloan, c’était très bon.
— C’est le brouet habituel, fade comme toujours, mais c’est gentil de l’avoir dit, arépondit-il le regard triste.
— Merci aussi pour la couche, ce sera vraiment plus confortable que l’appentis du lanceur, et avec des bleus partout, j’aspire à une bonne nuit.
— Il faut bien qu’on s’aide entre volants. Les HuaXiang sont des monstres et les mineurs ne nous comprennent pas. Pourtant, sans nous, ils ne pourraient pas livrer l’or ou se déplacer d’un puits à l’autre.
— C’est sûr que je préfère ce job que d’être enfermé dans la mine toute la journée. Ils font les fiers, mais je ne les comprends pas. Au moins, pendant qu’on vole, on est libre, même les HuaXiang ne viennent pas nous harceler.
— Tu sais qu’à Kerouan, on est un cas à part ?
— Comment ça ?
— Il n’y a que très peu de planètes où les glisseurs sont utilisés. Il faut que l’air soit sec et le climat ensoleillé pour qu’il y ait des thermiques presque tous les jours. Et puis souvent, il y a des avions, mais ici, avec la faible densité de l’atmosphère, ça pose problème. Les ailes rigides seraient trop grandes au sol, et surtout la vitesse de vol rend le décollage et l’atterrissage dangereux. Nous, avec les glisseurs, on vole tout doucement et notre aile en tissu se plie dans un sac. Ça ne prend pas de place une fois posée.
— C’est pour ça que les HuaXiang n’ont pas d’avions ? Il utilise des fusées pour rejoindre l’orbite lors des rotations de personnel, mais une fusée ne vole pas. Elle est juste appuyée sur son explosion.
— Tu as tout compris Goulven. C’est aussi l’atmosphère très peu dense qui leur permet d’envoyer en orbite l’or raffiné par des canons magnétiques. Si l’air était plus épais, ça freinerait trop les lingots.
**********************************************************
Au matin, dès que le soleil brulant de Kerouan eut chauffé la face Est du mont, initiant les premières ascendances de la journée, Goulven put repartir vers chez lui, faisant un signe à Jaloan qui manipulait les commandes du lanceur. Durant la montée, il repensa à la veille, aux mercenaires qui s’en prenaient aux autochtones et loua le fait qu’on les voyait rarement dans les montagnes, tant que la production d’or ne ralentissait pas. Il avait eu de la chance cette fois-ci. Mais il ne pouvait pas compter là-dessus pour toujours. Un jour viendrait peut-être ou la commotion le tuerait. Il ne serait pas le premier.
Au fur et à mesure de son ascension tournoyante, ses idées se mettaient à tourbilloner également.
Nous abattons tout le travail, et ils nous laissent à peine de quoi manger. Je ne peux plus accepter sans rien faire.
**********************************************************
Goulven poussa la porte de la taverne et se dirigea directement vers le portillon du fond. C’était un secret de polichinelle, chaque soir les jeunes s’y réunissaient pour parler de révolution. Son entrée déclencha un silence immédiat, suspicieux, mais rapidement levé. Il jeta un œil sur l’assemblée. Il connaissait tout le monde, ce qui était réciproque. La confiance était de mise au sein de la bourgade.
— Je veux participer, lança-t-il. Je ne peux pas continuer de subir les HuaXiang sans rien faire.
— Bienvenue, répondit l’homme qui se tenait en bout de table. C’est une bonne nouvelle que nous puissions compter sur un pilote, d’autant qu’avec quelques autres villages, nous avons un projet.
Rapidement, quelqu’un lui tira une chaise et la discussion se poursuivit, plus politique qu’opérationnelle. Pourtant, en fin de réunion deux membres vinrent le voir.
— Nous intervenons surtout pour la guérilla impliquant du travail de terrain, mais nous préviendrons Malo qui coordonne une attaque aérienne majeure.
C’est avec une bonne dose d’anticipation que Goulven quitta la réunion. Les volants montaient leurs propres projets de rébellion, et il en ferait partie.
**********************************************************
Goulven reprit sa routine. Il commençait à croire que rien ne se passerait et qu’en fait de résistance, les jeunes du hameau ne se réunissaient que pour se donner bonne conscience, pour entretenir l’illusion de participer au côté des villages plus bas sur la montagne. Pourtant, un soir qu’il atterrissait dans la courte pente à côté du lanceur, il vit approcher un glisseur qu’il ne connaissait pas. Comme le voulait l’usage, il se dirigea en haut du pré, pour le saluer et l’aider à plier son aile. Mais avant même qu’il ne fût posé, Goulven sut que ce n’était pas un vol normal. Il ne s’agissait ni d’un glisseur de fret ni d’un glisseur de passagers. Le pilote arrivait avec une voile minuscule, encore plus petite et plus allongée que celle qu’il utilisait tous les jours pour remonter. La charge alaire devait grimper en flèche dès qu’on emportait un peu d’équipement. Il l’observa voler à une vitesse insolite, exploitant les moindres ascendances de la restitution. Le glisseur semblait si vif que le roulis et la ressource se voyaient, évidents, à chaque virage un peu fort déclenché aux commandes, alors même que les bras du pilote ne bougeaient que de quelques centimètres.
Goulven n’en croyait pas ses yeux. Il s’agissait visiblement d’un glisseur prévu pour ne transporter qu’une seule personne, mais qui par contre autorisait une vitesse et une agilité maximales. Il s’imaginait déjà piloter une telle aile. L’adrénaline devait être à son comble avec ce type d’engin, surtout si près du sol.
À peine le glisseur fut-il posé que Goulven s’élança. Il allait assaillir le nouveau venu de questions quand il se souvint des règles de politesse.
— Bonsoir, Goulven, pilote de Oualidia. Bienvenue. Puis-je vous aider?
— Bonsoir, Malo, pilote également, merci de ton accueil. C’est toi que je suis venu voir.
Le cœur de Goulven cogna plus fort. Malo, la rébellion, ils n’avaient pas menti.
**********************************************************
Les semaines qui suivirent furent une période d’une rare intensité pour Goulven qui dut démontrer ses qualités de pilote pour l’opération d’envergure en préparation. Quotidiennement, après sa livraison du matin, il remontait au plus vite, s’arrêtant au lanceur du puits 42, le cœur de la rébellion en ce qui concernait les pilotes. Ce village bas sur la pente permettait à certains de faire deux tours en une seule journée. Ils devaient pour cela exploiter les thermiques plus doux de la fin d’après-midi, qui ne parvenaient pas toujours jusqu’aux sommets. Aussi utilisaient-ils des glisseurs plus performants, mais en contrepartie moins stables que ceux dont Goulven avait l’habitude. Ils procédaient généralement à leur deuxième descente pendant les heures les plus chaudes, les plus brutales. Ils volaient alors avec une aile de fret, au profil bien plus solide.
Les bavardages sur les qualités des glisseurs étaient innombrables lorsque les pilotes ne discutaient pas de la rébellion. Goulven était l’un des seuls à provenir des villages d’altitude, aussi exprimait-il souvent son désaccord sur l’importance de la stabilité par rapport à la manœuvrabilité quand il s’agissait d’affronter la mi-journée. Il avait plusieurs fois emprunté le glisseur de Malo. Mais bien qu’il fût fasciné par sa vitesse et sa réactivité, il n’avait jamais osé aller au cœur des plus grosses ascendances, celles qui étaient alimentées par la plaine. Il se contentait des thermiques locaux, comme les autres pilotes du reste.
Huit semaines plus tard, Malo les réunit. L’attaque était pour le lendemain. Un groupe de six glisseurs allait procéder à un assaut coordonné.
— Les équipes de la métallurgie m’ont confirmé que le seul moment valable pour mener une attaque est une heure après le coucher du soleil. La base des HuaXiang reste normalement fermée par des sas blindés, rendant tout bombardement inutile. Mais chaque jour, pendant cinq minutes, les portes sont ouvertes pour permettre la rotation du personnel et les approvisionnements. Nous allons tirer profit de cette période. Nous nous chargerons de grenades et nous partirons 35 minutes avant l’heure H pour rejoindre la base au bon moment. Nous plongerons alors juste avant de larguer les bombes et nous nous servirons de la ressource pour nous éloigner autant que possible et tenter de nous perdre dans la nuit.
Goulven écoutait, bien qu’on lui ait déjà fait part du fait qu’il ne ferait pas partie de l’équipe. Malo et les autres membres doutaient de sa capacité à piloter un glisseur rapide avec suffisamment de dextérité pour atteindre la cible malgré les antennes de télécommunication qui parsemaient la base. Et Goulven, lui, doutait de cette stratégie. Il savait le camp entouré de gardes. De plus, ils devraient voler suffisamment bas pour lancer les petites bombes avec une précision adéquate. Jamais ils ne pourraient par la suite s’éloigner de la base de plus de quelques centaines de mètres. Un kilomètre s’ils avaient de la chance. Cette mission lui semblait confiner au suicide.
**********************************************************
Le lendemain, Goulven procéda à sa rotation habituelle, mais il ne parvenait pas à s’empêcher de penser que les probabilités de succès restaient faibles. Ils voleraient sans marge de sécurité, dans un environnement encombré, le tout de nuit, ne profitant que de l’éclairage prévu pour illuminer le sol. Si un seul pilote réussissait à livrer ses grenades, ils auraient de la chance. Mais une petite charge comme cela n’arriverait pas à produire de gros dégâts. Ça ne pouvait pas devenir la mission décisive dont avait besoin la rébellion.
À l’heure du coucher de soleil, il s’assit sur le balcon du lanceur et se mit à observer le camp. Il attendait, anxieux, escomptant voir les explosions, qu’il pourrait peut-être compter pour se faire une idée du succès. Mais malgré sa patience, il dut se rendre à l’évidence, l’attaque avait échoué. Il songeait à ses amis perdus, à leurs corps qui ne voleraient plus. Il espérait surtout qu'aucun d'eux n'avaient été fait prisonnier. Il n'osait imaginer les tortures que les mercenaires inventeraient. Pourtant, ce n’était pas tant la tristesse, ni même la colère qui l’accablait, mais plutôt le sentiment profond que cette issue était inéluctable. Il alla se coucher, doutant malgré tout de dormir.
En effet, il ne parvint pas à trouver le sommeil. Il imaginait le dernier vol de ces amis dès qu’il fermait les yeux. Petit à petit, il réfléchit à ce qu’il aurait fait différemment pour éviter cette issue fatale. Au matin, il pensait tenir une solution. En fin de soirée, il retourna dans la salle à l’arrière de la taverne. Les hommes et femmes présents connaissaient l’échec de la veille. Leur pas était plus pesant et les discours plus sombres. Mais il n’était pas là pour ça. Il était animé d’un feu intérieur. Il savait qu’il pouvait renverser le cours de l’occupation. Aussi attendit-il en bouillonnant la fin de la réunion. Il se dirigea alors vers le responsable local et lui fit part de son besoin en explosif. La conversation tournait en rond.
— Goulven, je sens ta passion, mais pourquoi ta solution devrait marcher quand celle de Malo n’a conduit qu’à la mort de nombreux pilotes et au renforcement des patrouilles ?
— Malo venait de la mi-pente. Ils ne volaient pas comme nous dans les villages d’altitude. Ils vont vite, mais n’affrontent jamais les conditions atmosphériques les plus difficiles. Ils ont conçu leur plan en conséquence, souhaitant s’approcher au plus près de la base.
— Et ce n’est pas ce que tu comptes faire ?
— Non, je veux au contraire utiliser un glisseur lent, mais très stable, avec lequel je vais pouvoir emporter une grosse charge très haut. Les HuaXiang ne seront même pas qu’ils ont été attaqués avant que tout ne soit fini.
La discussion s'éternisa, convaincre les rebels ne fut pas facile, mais Goulven parvint néanmoins à ses fins. La perspective de pouvoir enfin détruire la base qui abritait la plupart des mercenaires représentait un puissant aiguillon.
**********************************************************
Un mois tout juste après l’échec de ses confrères pilotes, Goulven se préparait à son tour à s’élancer. Il avait attendu que la météo soit de son côté. Son glisseur de fret était chargé de plastic explosif. Il était bientôt midi, les ascendances de la journée étaient déjà bien installées et allaient encore s’intensifier. Des cellules orageuses étaient prévues et devraient lui permettre d’atteindre les prémisses de la stratosphère. Il aurait alors le temps de patienter au-dessus des nuages, profitant de la restitution thermique due à la condensation pour rester aussi haut que possible jusqu’à l’heure de l’ouverture des portes. Il avait l'altimètre pour déclancher l'explosif. Il était prêt.
Après avoir vérifié une dernière fois l’état de son équipement, Goulven fit signe à l’opérateur du lanceur. Il profita de ces quelques secondes pour se concentrer.
— Ça y est !
Il était parti, mais au lieu de plonger directement vers la plaine selon son habitude, il se dirigea rapidement vers les sommets. Il comptait ainsi repérer au mieux la formation des orages. Il disposerait aussi de suffisamment de réserve d’altitude pour pouvoir les atteindre s’ils ne se développaient que beaucoup plus à l’est ou à l’ouest de sa position.
Sous sa sellette, il sentait les six tonnes d’explosifs qui prenaient petit à petit leur place dans le sac qu’il avait équipé d’un largueur. Étonnamment, il parvenait à profiter du spectacle des cimes qui s’étalaient au loin sur des kilomètres. Il tournoyait dans le ciel, enroulant l’ascenseur qui s’élançait du pic quelques centaines de mètres plus bas. Il observait les tornades de poussières au sol qui montraient que bientôt la masse d’air surchauffée de la plaine allait s’écraser sur la montagne, déclenchant les monstres de la mi-journée. Soudain, l’odeur se modifia, elle se fit plus terreuse. Nous y voilà, pensa-t-il. Le rodéo va commencer.
En effet, quelques instants plus tard, son glisseur sembla rechigner à avancer, tandis que l’inertie de sa charge le poussait plus avant. Un bon quart de sa voile se referma violemment, mais elle se rouvrit d’elle-même et Goulven remercia mentalement la solidité du profil de son aile. Il savait qu’il n’était qu’au tout début des turbulences qu’il avait décidé d’affronter et que seule la stabilité de son glisseur viendrait à son aide dans les conditions dantesques qu’il espérait aujourd’hui.
Le cœur l’aspirait à plus de dix mètres par seconde, une très forte ascension, même pour lui qui était habitué à remonter en plein midi. Son analyse météo semblait se confirmer, amenant un sourire sur ses lèvres. Il se préparait à arriver au plafond, se méfiant de la différence d’inertie entre le plastique qu’il portait et le fin tissu qui le maintenait dans les airs. Il s’attendait à une fermeture brutale qu’il devrait corriger au plus vite. Il volait haut et avait le temps de réagir, mais il voulait éviter la formation de cravates qui restaient souvent difficiles à dégager sur un glisseur chargé comme le sien en ce moment. L’ascension ralentissait, presque imperceptible, mais c’était le signe qu’il escomptait. Il ouvrit les soupapes qui lui permirent de freiner artificiellement son taux de montée, tout en augmentant le flux d’air qui circulait dans les cellules. Il améliorait ainsi la stabilité du profil, grâce à l’adaptation continue aux changements de pressions locales. Il fut secoué, mais sans effondrement majeur. Finalement, il put sortir et refermer les clapets pour retrouver toutes les performances de son engin.
L’air devenait plus calme. Il prit le temps d’observer autour de lui, pour choisir la cellule orageuse lui semblant la plus prometteuse, et se dirigea vers elle. Il mangea un morceau en pensant que c’était peut-être son dernier repas. S’il n’arrivait pas à maîtriser la bête, il n’avait que peu de chances de s’en sortir. Son parachute de secours risquait de ne pas être d’une grande aide s’il restait dans l’aspiration de l’orage. Il enfila ensuite de nouvelles couches de vêtements, car la température allait continuer à s’effondrer. Il était dorénavant complètement engoncé, mais il savait qu’il en aurait besoin sous peu. Après quoi, il régla le débit d’oxygène pour que sa réserve dure les quelques heures à venir.
Il observait le nuage qui se formait devant lui et que son instinct lui disait d’éviter à tout prix. Pourtant, il s’y rendait, confiant que c’était sa destinée. S’il devait mourir aujourd’hui, il aurait perdu la vie en se battant pour la liberté de son peuple.
Le soleil se cachait derrière la masse immense de la tempête. Le mur du cumulo-nimbus se rapprochait. Bientôt, il serait happé. Sa vitesse-sol augmentait de seconde en seconde. Il se tenait maintenant clairement dans la zone d’influence de l’orage. Moins de cinq minutes plus tard, il pénétra dans la paroi tourbillonnante des nuages.
Pendant un temps qui lui parut immense, il fut secoué dans tous les sens. Le roulis et le tangage étaient permanents. Il tentait de les compenser autant que possible, cherchant à rester à la verticale de son aile, mais force était de constater qu’il avait de plus en plus de mal à simplement reconnaître cette verticale. Soudain, une rafale plus puissante que les autres entraîna la partie gauche de sa voile qui se mit à pivoter. Il ne parvenait plus à contrer le mouvement de lacet. Bientôt, les élévateurs furent croisés, l’aile avait pris un demi-tour par rapport à sa charge. Il ne savait pas que ce fût même possible sur un glisseur de fret. Il volait en arrière maintenant, plus précisément, il sentait le vent dans son dos tandis que la voile continuait sa course normale qu’il arrivait de moins en moins à maîtriser.
Par chance, la situation s’améliorait néanmoins. L’aile semblait avoir trouvé une configuration plus stable. Elle tournait naturellement autour du noyau. Mais la vitesse et l’inclinaison étaient telles que Goulven était écrasé par l’accélération dans le fond de sa sellette. Ses bras pesaient des tonnes, sa vue déjà rendue inutile par les milliards de gouttelettes d’eau qui l’entouraient commençait à se brouiller. Il ne tiendrait pas longtemps comme cela. Mais il ne parvenait pas à sortir de cette spirale qui aurait normalement dû l’envoyer s’abattre au sol. Pourtant, dans le cas présent, elle semblait accompagner sa montée. Son champ de vision devenait de plus en plus étroit, l’empêchant de vérifier les instruments, mais le vario criait, confirmant qu’il ne s’écraserait pas. Puis sa conscience s’évapora.
**********************************************************
Quand Goulven reprit connaissance, le ciel au-dessus de lui était noir. Les étoiles brillaient. Sous ses pieds, le sommet du nuage était régulièrement zébré d’éclairs qui l’illuminaient de l’intérieur. Pendant un instant, il paniqua, craignant d’avoir manqué l’heure d’ouverture des sas, le seul moment où son attaque pouvait être efficace. Mais rapidement, il remarqua que le soleil éclairait encore la face ouest de la colonne orageuse. Au sol, il ne pouvait pas faire nuit depuis bien longtemps. Il regarda alors ses instruments qui attestaient qu’il lui restait suffisamment de temps pour atteindre la verticale du camp des HuaXiang. Son enregistreur montrait que depuis son évanouissement, il n’avait pas cessé de tourner en de grands cercles, heureusement bien plus paresseux dès qu’il avait gagné la stratosphère. Ses doigts gourds pointèrent la direction qu’il devait prendre et il se focalisa sur celle-ci. Son cerveau semblait tourner au ralenti, aussi se forçait-il à systématiquement réfléchir à ses actions à deux fois. Mais depuis qu’il suivait le cap, il volait facilement dans une étonnante douceur. Maintenant qu’il s’éloignait de l’orage, son glisseur recommençait à s’enfoncer vivement. Il était sorti du geyser qui l’avait maintenu en l’air pendant plus de deux heures.
Sombrant rapidement dans l’atmosphère, le ciel perdait de sa surprenante netteté. Les étoiles scintillaient de nouveau, le monde retrouvait un aspect plus normal. Goulven put alors se concentrer sur la dernière phase de sa mission. Compte tenu de son élévation importante, et malgré le fait qu’il avait à présent amorcé une descente précipitée, ayant fermé chaque bout d’aile sur trois suspentes, la chute de la bombe prendrait près d’une minute. L'explosif branché sur l’altimètre résolvait le problème de la mise à feu, mais il devait encore atteindre sa cible. Il avait équipé son largueur d’un système automatique qui ne se déclencherait que lorsque sa vitesse-sol deviendrait nulle, assurant une chute verticale. Il aurait été bien incapable d’évaluer le spot de droppage avec une courbe parabolique.
Il restait donc à Goulven de parvenir à stopper son glisseur tandis qu’il se trouverait à la verticale de la base. Il allait provoquer un décrochage massif, mais c’était la seule solution qu’il avait pu concevoir pour réussir à « viser » sa cible. Aussi expérimentait-il pour sentir au mieux le point de décrochage à cette altitude pour pouvoir le mettre en œuvre dès que le système de positionnement lui confirmerait qu’il avait rejoint les bonnes coordonnées. Il attendait, concentré pour que la position et l’heure coïncident.
Il agrippa alors les commandes, ralentissant progressivement le glisseur pour limiter le tangage, puis, atteignant le site idéal, il se laissa tomber dans la zone de décrochage. Presque instantanément, le largueur s’ouvrit et le glisseur perdit les six tonnes de plastiques qui se ruaient vers leur œuvre de destruction. Immédiatement, le glisseur réagit, comme une feuille de papier tourbillonnant dans le moindre souffle. La charge alaire était maintenant tellement faible que plus rien ne maintenait le profil. Goulven se décrocha à son tour de ce géant de tissu qu’il ne pouvait plus contrôler. Sa chute déploya son glisseur habituel et malgré qu'il fut maintenant complètement à vide, il put de nouveau voler.
Il prit alors le temps d’observer vers le sol. La lueur orange ondoyait d’un feu qui semblait vouloir tout consumer. Pourtant, il y distinguait encore une forme carrée qui déformait la boule rougeoyante. Ça ne pouvait qu’être les murs d’enceinte du camp des HuaXiang. Son cœur se souleva, un cri s’éleva de sa gorge. Il avait fait mouche !